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DossierAssociations de consommateurs vs marques : le tabou

D'un côté les reproches, de l'autre le silence. Les rapports de force qu'entretiennent les organismes de défense des consommateurs et les marques sont plus que houleux. Enquête. Issu de Marketing Magazine n° 168 - Juin - Août 2013

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Associations de consommateurs vs marques : le tabou

1 Associations de consommateurs et marques : des rapports conflictuels

" Inefficace, injuste, coûteux. " Ce sont les termes(1) employés par Alain Bazot, président de l'UFC-Que Choisir, au sujet de l'étude(2) sur la qualité de la distribution d'électricité en France. Si le temps moyen annuel des coupures est redescendu à 73 minutes en 2011 (contre une évolution de 50 à 200 minutes entre 2002 et 2009), la situation s'est détériorée dans de nombreux départements. En Dordogne ou dans le Morbihan, par exemple, le temps cumulé des coupures a dépassé trois heures. L'association de consommateurs dénonce un niveau d'investissement divisé par deux entre 1992 et 2004. En effet, 826 millions d'euros ont été investis en 2012, alors que l'association de consommateurs estime qu'il faudrait injecter 2 milliards d'euros par an d'ici à 2020. Aussi, UFC-Que Choisir reproche une indemnisation des victimes insuffisante et réclame plus de transparence. ERDF, qui distribue l'électricité sur 95 % du territoire, a réagi en rappelant que ses investissements de maintenance étaient en hausse depuis trois ans et que les aléas climatiques avaient été nombreux l'an dernier... Cas classique d'un rapport de force entre une association de consommateurs et une marque. Dénonciation, reproche, réclamation, revendication : ces mots composent majoritairement les discours des associations de consommateurs en France. Quel est l'impact de leurs actions sur les marques ? Quels rapports de force s'opèrent entre ces deux types d'acteurs ?

2 Associations de consommateurs et marques : un rapport en constante dégradation

Audrey Aveaux (Nutritionnellement)

Premier élément de réponse avec un fait : rares sont les marques que nous avons contactées qui ont souhaité témoigner à ce sujet, sauf Orange Business Services (voir slide 3). Tabou ? Malaise ? C'est ce que constate Audrey Aveaux, diététicienne et nutritionniste à Nutritionnellement, une société créée en 2001, qui conseille les marques des secteurs de l'alimentation, de la restauration et de la nutrition / santé dans cinq domaines : science de la santé, réglementation, R & D, marketing et communication. " Depuis début 2013, il n'y a pas une semaine sans qu'un scandale lié à l'agroalimentaire ne voie le jour. Mais, plus globalement, les associations de consommateurs ne distribuent que des cartons rouges aux marques. Rares sont les articles sur les bonnes initiatives des entreprises, qui se voient sans cesse montrées du doigt et agressées. Forcément, la relation entre ces associations et les marques s'est cristallisée au fil des années ", regrette Audrey Aveaux (Nutritionnellement). Y aurait-il un manque d'optimisme du côté des associations de consommateurs à l'origine de cette tension ?

Il suffit de jeter un oeil aux derniers sujets d'actualité repris sur le site d'UFC-Que Choisir : "Obsolescence programmée : trop de produits à durée de vie limitée" (26/04/13), "Homologation des pesticides : toujours des dérives" (25/04/13), "Produits minceur : substances dangereuses" (17/04/13), ou encore "Smartphones : plainte contre Android de Google" (14/04/13) deux sujets présents sur la Une du magazine 60 millions de consommateurs du mois de mai(3) : "Alimentation : ce que les fabricants nous cachent" et un sondage sur "Les Français face à la baisse de leur pouvoir d'achat". La polémique domine.

" Les associations de consommateurs devraient équilibrer leurs thèmes, en évoquant aussi les bonnes initiatives des marques. En parallèle, les entreprises ne devraient pas se fermer mais faire preuve de bonne foi et de transparence ", ajoute Audrey Aveaux.

Hervé Mondange (Afoc)

Mais alors, la faute reviendrait-elle aux associations de consommateurs ? " Il est vrai qu'elles travaillent beaucoup sur les réclamations, les problèmes et autres accidents, les comparatifs de produits et les certifications des services ", reconnaît Hervé Mondange, juriste à l'Afoc (Association force ouvrière consommateurs), qui siège également au Conseil national de la consommation (CNC). " Il existe néanmoins des groupes de travail collectif regroupant ces deux types d'acteurs, organisés par le CNC. Les professionnels et les consommateurs s'y retrouvent pour débattre ensemble de sujets sensibles ", précise-t-il. Si l'État joue le rôle de médiateur entre les deux protagonistes, c'est bien que la justice est au coeur du débat.

(1) Source : Lesechos.fr 26 avril 2013.
(2) Étude UFC-Que Choisir sur la distribution d'électricité en France, publiée le 25 avril 2013.

Les rapports entre les associations de consommateurs et les marques sont mauvais. Les associations ne dénoncent que les mauvaises actions des marques tandis que celles-ci ne font pas preuve de transparence.

3 Les attentes des consommateurs dans l'alimentaire

Après le scandale de la viande de cheval retrouvée dans des produits de la marque Findus en janvier dernier, l'association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) a publié en février un sondage sur les attentes des consommateurs en matière d'information sur l'origine des produits alimentaires. Sur les 1 040 personnes qui ont participé, une quasi-unanimité (99 % des sondés) considère qu'avoir une information sur l'origine des aliments est important. Les répondants y voient avant tout un moyen de contribuer au développement économique d'une région ou d'un pays (critère cité par 71 % d'entre eux). Viennent ensuite des motifs d'ordre environnemental (66 %), social (63 %) et ayant trait à la sécurité des produits (62 %). La CLCV se fonde sur ce sondage pour relayer les attentes des consommateurs dans le cadre de l'évolution (en cours) de la réglementation européenne sur l'étiquetage, qui prévoit davantage de transparence sur l'origine des produits. Elle indique :

  • "Il nous paraît important que l'information fournie aux consommateurs porte sur le pays d'origine du produit et ne se limite pas à une mention 'UE / non UE'."
  • "Nous proposons par ailleurs d'élargir l'étiquetage de l'origine à toutes les denrées composées d'un seul ingrédient (huile, farine, sucre...) et à l'ensemble des viandes."
  • "Concernant les produits élaborés, nous demandons une information sur les principaux ingrédients de la recette."

A consulter : Sondage de la CLCV sur l'origine des produits alimentaires

Les consommateurs réclament plus de transparence en ce qui concerne les produits alimentaires, notamment sur le pays d'origine.

4 L'action de groupe, nouvelle arme de défense du consommateur

La justice est donc au coeur du débat. Quel débat ? Celui que Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'UFC-Que Choisir dénonce sans langue de bois : " Trop d'entreprises ont un intérêt économique à violer la loi pour réaliser des bénéfices frauduleux. En effet, même si elles sont condamnées, elles réalisent quand même des marges car les frais à payer après un procès sont beaucoup moins importants que ceux générés par la mise en procès. Cela ne peut plus durer. C'est pour cela que nous espérons la concrétisation du projet de loi sur l'action de groupe, car il peut inverser cette tendance ", se révolte-t-il. L'action de groupe. Un projet de loi vieux comme le monde, qui n'a jamais abouti. Le voilà de nouveau sur le tapis. Benoît Hamon, ministre délégué à la Consommation, l'a présenté le 2 mai dernier. Pour rappel, l'action de groupe est une action en justice collective, menée par plusieurs victimes d'un dommage. Un recours qui, pour la première fois en France, donnera donc un pouvoir juridique plus important à plusieurs consommateurs réunis. Car pour l'instant, en cas de préjudices ou de litiges, ces derniers peuvent uniquement intenter des recours en justice individuels. " Ces procédures isolées sont payantes, ce qui décourage beaucoup de victimes. Du reste, on en entend rarement parler dans les médias ", souligne Cédric Musso. L'union ferait-elle vraiment la force ?

C'est en tout cas la conviction du ministre délégué à la Consommation, qui s'exprime sans retenue dans L'Express : " Cela fait 20 ans que les organisations patronales empêchent ce progrès démocratique, 20 ans que le consommateur français est sous-protégé. Notre ambition est de lui redonner enfin des armes efficaces pour obtenir réparation d'un préjudice quand il est victime de pratiques abusives, frauduleuses et anticoncurrentielles. Il s'agit en fait de rééquilibrer les rapports entre les entreprises et les individus, sans basculer dans les excès d'une judiciarisation à outrance, comme aux États-Unis. L'objectif n'est pas tant de multiplier les recours en justice que d'empêcher les entreprises de tricher : ce sera une arme de dissuasion massive. Et, in fine, cela devraitpermettre de redonner du pouvoir d'achat aux Français. " La suite dans les prochains mois.

Vidéo : interview de Benoît Hamon à propos de l'action de groupe sur BFMTV

Béatrice Felder, directrice relation client d'Orange Business Services : " Le vrai risque, ce sont les dénigrements sur les réseaux sociaux. "

Béatrice Felder, directrice relation client (Orange Business Services)

" Beaucoup d'actions d'associations de consommation ont permis de faire évoluer des services à valeur ajoutée, entraînant, par exemple, la réforme des numéros de téléphone surtaxés, constate Béatrice Felder, directrice de la relation client d'Orange Business Services. Ce qui affecte les marques, ce ne sont pas tant les actions que le fait même de voir les consommateurs se lancer dans des démarches collectives. Plus les clients sont nombreux à protester, plus cela a des conséquences négatives sur les entreprises. Et notamment concernant leur e-réputation, à cause de commentaires laissés sur les réseaux sociaux. En effet, 30 % des internautes donnent leur avis sur ces plateformes après leurs achats. Si bien que désormais, 80 % des entreprises intègrent les réseaux sociaux dans leur stratégie de relation client, selon Infosys. Il est donc important que les marques regardent de près ce que les internautes disent à leur sujet sur la Toile. La solution Community reputation d'Orange Business Services a, par exemple, permis à Leroy Merlin de disposer d'un système de veille efficace sur tous les réseaux sociaux, blogs, etc. L'enseigne a ainsi pu suivre de très près les attentes et les mécontentements des clients sur le Net. "

L'action de groupe, une action en justice collective, permettrait à plusieurs consommateurs d'intenter un seul recours en justice.

5 17 associations nationales de consommateurs

Au total, 17 associations agréées agissent au plan national pour défendre les consommateurs. Régies par la loi du 1er juillet 1901, elles sont indépendantes et à but non lucratif. Elles conseillent les consommateurs et les aident à régler les litiges de la vie quotidienne, soit à l'amiable, soit par l'action en justice. Elles sont habilitées à défendre en justice l'intérêt collectif des consommateurs et à demander réparation des préjudices. Elles peuvent aussi agir à titre préventif, par exemple pour demander le retrait du marché d'un produit dangereux ou la suppression de clauses abusives dans des contrats.

Ces associations sont issues de trois grands mouvements, dont l'origine historique diffère :

  • Le mouvement familial : le Cnafal, la CNAFC, la CSF, Familles de France, Familles Rurales, regroupés au sein de l'Unaf, ont pour la plupart été créés avant ou juste après la Seconde Guerre Mondiale.
  • Le mouvement syndical : l'Adéic, l'Afoc, l'Asseco- CFDT, l'Indecosa-CGT, sont nées à l'initiative des grandes centrales syndicales ; l'ALLDC, quant à elle, est issue de l'éducation populaire.
  • Le mouvement consumériste et spécialisé : l'UFC-Que Choisir, la CLCV et l'OR.GE.CO, apparues dans les années cinquante, se consacrent exclusivement aux problèmes de consommation. La CNL et la CGL sont spécialisées dans les questions de logement, la Fnaut, dans celles des transports.

Source : extrait du Guide des associations de consommateurs de l'INC 2012.

Tour d'horizon et rôle des associations nationales de consommateurs.

6 Pour aller plus loin

Prérogatives des associations de consommateurs sur le portail de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

Des liens complémentaires à suivre pour en savoir plus sur les relations entre les marques et les associations de consommateurs.

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